Préface des Éditions de Londres
« Électre » est une comédie en deux actes de Jean Giraudoux. Elle fut jouée pour la première fois en mai 1937 dans une mise en scène de Louis Jouvet.
Jean Giraudoux s’est inspirée du mythe d’Électre, l’une des filles d’Agamemnon, déjà traité en tragédie par Eschyle, Sophocle et Euripide. Il a traité ce mythe avec beaucoup de liberté et en a fait une « tragédie bourgeoise » moderne comme il l’affirmait lui-même.
Le mythe des Atrides
Les Atrides sont les descendants d’Atrée.
Les deux frères Atrée et Thyeste, petits fils de Tantale et fils de Pélops, se réfugient à Mycènes après avoir tué leur demi-frère Chrysippe. Là, ils se disputent le pouvoir.
Thyeste se fait aider par Érope, la femme d’Atrée pour prendre le pouvoir en volant la toison d’or à Atrée.
Mais Atrée, aidé par Hermès, parvient à prendre le pouvoir à Mycènes. Il se venge alors de la trahison d’Érope en invitant Thyeste à un banquet où il lui fait servir comme plat ses enfants qu’il a assassinés.
Thyeste se réfugie alors à Sycone. Là, il viole sa fille Pélopia qui donne naissance à Égisthe. Pélopia épouse ensuite son oncle Atrée qui élève alors Égisthe.
Quand Égisthe est adulte, Atrée le charge d’aller tuer Thyeste. Thyeste lui apprend qu’il est son fils. Pélopia qui ignorait que c’était son père qui l’avait violée se suicide. Égisthe retourne à Mycènes où il tue Atrée.
Agamemnon et Ménélas, les fils d’Atrée se réfugient à Sparte. Là, Agamemnon épouse Clytemnestre après avoir tué son premier mari, Tantale, fils de Thyeste.
Agamemnon revient alors à Mycènes d’où il chasse Thyeste.
À son retour de la guerre de Troie, Agamemnon est assassiné par Égisthe, qui est devenu l’amant de Clytemnestre ou par Clytemnestre elle-même.
Huit ans plus tard, Électre et son frère Oreste, les enfants d’Agamemnon et Clytemnestre, de retour à Mycènes dont ils avaient été écartés, se retrouvent devant le tombeau d’Agamemnon.
Ils doivent accomplir la prophétie de l’oracle de Delphes et venger leur père.
Oreste tue sa mère Clytemnestre et Égisthe, en accord avec Électre. Ensuite, il devient fou. Il est alors poursuivi par les Érinyes (ou Euménides), chargées de punir les crimes familiaux.
La malédiction des Atrides se terminera quand Oreste sera jugé par le tribunal d’Athènes et acquitté grâce à l’aide d’Athéna. Il guérira de sa folie et retournera à Mycènes où il sera roi.
La mort d’Agamemnon dans l’Odyssée
La mort d’Agamemnon est racontée par Homère dans l’Odyssée. C’est Agamemnon lui-même qui la décrit à Ulysse lorsque celui-ci visite le royaume des morts :
« Divin fils de Laërte, subtil Ulysse, Poséidon ne m’a pas dompté sur mes nefs, en excitant les immenses souffles des vents terribles, et des hommes ennemis ne m’ont pas frappé sur la terre ferme ; mais Égisthe m’a infligé la fatalité et la mort avec l’aide de ma femme perfide. M’ayant convié à un repas dans la demeure, il m’a tué comme un bœuf à l’étable. J’ai subi ainsi une très lamentable mort. Et, autour de moi, mes compagnons ont été égorgés comme des porcs aux dents blanches, qui sont tués dans la demeure d’un homme riche et puissant, pour des noces, des festins sacrés ou des repas de fête. Certes, tu t’es trouvé au milieu du carnage de nombreux guerriers, entouré de morts, dans la terrible mêlée ; mais tu aurais gémi dans ton cœur de voir cela. Et nous gisions dans la demeure, parmi les cratères et les tables chargées de victuailles, et toute la salle était souillée de sang. Et j’entendais la voix lamentable de la fille de Priam, Cassandre, que la perfide Clytemnestre égorgeait auprès de moi. Et comme j’étais étendu mourant, je soulevai mes mains vers mon épée ; mais la femme aux yeux de chien s’éloigna et elle ne voulut pas fermer mes yeux et ma bouche au moment où je descendais dans la demeure d’Hadès. Rien n’est plus cruel, ni plus impie qu’une femme qui a pu méditer de tels crimes. Ainsi, certes, Clytemnestre prépara le meurtre misérable du premier mari qui la posséda, et je péris ainsi, quand je croyais rentrer dans ma demeure, bien accueilli de mes enfants, de mes servantes et de mes esclaves ! Mais cette femme, pleine d’affreuses pensées, couvrira de sa honte toutes les autres femmes futures, et même celles qui auront la sagesse en partage. »
Résumé de la pièce
Acte 1, scène 1 : Un étranger arrive au palais de Mycènes accompagné des petites Euménides et y rencontre le jardinier. Le jardinier présente le palais à l’étranger et les petites Euménides évoquent l’histoire des Atrides. On apprend que le jardinier doit épouser Électre.
Scène 2 : Le président du tribunal Théocathoclès et sa femme Agathe arrivent. Ils ne veulent pas que le jardinier, qui est leur cousin, épouse Électre car cela ferait retomber la malédiction des Atrides sur leur famille. Le président explique qu’Électre est une « femme à histoires » consciente de son devoir de vengeance : « Je la connais Électre ! Admettons qu’elle soit ce que tu dis, la justice, la générosité, le devoir. Mais c’est avec la justice, la générosité, le devoir, et non avec l’égoïsme et la facilité, que l’on ruine l’État, l’individu et les meilleures familles. Ces trois vertus comportent le seul élément vraiment fatal à l’humanité, l’acharnement. Le bonheur n’a jamais été le lot de ceux qui s’acharnent. Une famille heureuse, c’est une reddition locale. Une époque heureuse, c’est l’unanime capitulation. »
Scène 3 : Égisthe et un mendiant, qui est peut-être un dieu, arrivent. Égisthe explique qu’il protège l’État en faisant en sorte de ne pas attirer sur lui l’attention des dieux. C’est pour cela qu’il veut marier Électre au jardinier afin que la foudre des dieux ne tombe pas sur la famille royale. Le mendiant affirme qu’en fait Égisthe veut tuer Électre.
Scène 4 : Arrivent Électre et Clytemnestre qui s’accusent mutuellement d’avoir fait tomber Oreste quand il était bébé. Clytemnestre se dispute également avec le jardinier et ne veut plus qu’Électre l’épouse.
Scène 5 : L’étranger – Oreste – prend la main d’Électre et chasse le jardinier.
Scène 6 : Oreste se fait reconnaître par Électre.
Scène 7 : Clytemnestre revient. Elle se dispute avec Électre qui lui dit vouloir épouser l’étranger.
Scène 8 : Électre exprime à Oreste combien elle déteste sa mère : « C’est justement ce que je ne peux supporter d’elle, qu’elle m’ait mise au monde. C’est là ma honte. Il me semble que par elle je suis entrée dans la vie d’une façon équivoque et que sa maternité n’est qu’une complicité qui nous lie. J’aime tout ce qui, dans ma naissance revient à mon père. » Électre explique qu’elle ne sait pas encore la cause de cette haine qui la submerge.
Scène 9 : Égisthe annonce à Clytemnestre qu’Oreste est de retour venant pour reprendre le trône.
Scène 10 : Électre commence à comprendre la cause de sa haine pour sa mère.
Scène 11 : Clytemnestre a compris que l’étranger est son fils Oreste. Les retrouvailles sont difficiles.
Scène 12 : Oreste et Électre sont endormis, enlacés. Les Euménides évoquent Oreste tuant sa mère.
Scène 13 : Le mendiant dans un monologue arrive à la conclusion qu’Oreste et Électre vont tuer Clytemnestre et Égisthe : « Regardez les deux innocents. C’est ce qui va être le fruit de leurs noces : remettre à la vie pour le monde et les âges un crime déjà périmé et dont le châtiment lui-même sera un pire crime. »
Entracte : Le jardinier se lamente de sa perte d’Électre.
Acte 2, scène 1 : Oreste dort. Le jour se lève. Le mendiant retient Électre de réveiller Oreste. Ils lui laissent cinq minutes de sommeil avant d’entrer dans l’épouvante.
Scène 2 : Agathe Théocathoclès arrive avec son jeune amant. Ils répètent ce qu’ils diront au mari d’Agathe s’il les trouve ensemble. Puis l’amant lui reproche d’avoir un autre amant, ce qu’elle nie en utilisant les excuses préparées pour le mari.
Scène 3 : Oreste se réveille. Il est heureux et veut partir avec Électre. Électre, qui a compris pendant la nuit que son père a été assassiné et que sa mère a un amant, veut qu’Oreste venge son père. C’est le rôle des femmes de rappeler les hommes à leur devoir : « Elles ne sont faites que pour cela. Épouses, belles-sœurs, belles-mères, toutes, quand les hommes au matin ne voient plus, par leurs yeux engourdis, que la pourpre et l’or, c’est elles qui les secouent, qui leur tendent avec le café et l’eau chaude, la haine de l’injustice et le mépris du petit bonheur. »
Scène 4 : Arrive Clytemnestre. Électre et Oreste tentent de lui faire avouer qu’elle a un amant.
Scène 5 : Clytemnestre veut s’expliquer seule avec Électre. Elle tente de la convaincre qu’Électre doit la comprendre puisqu’elles sont toutes les deux femmes. Électre refuse de se soumettre : « Je sais qu’on a beaucoup de droits dans la confrérie des femmes. Si vous payez le droit d’entrée, qui est lourd, qui est d’admettre que les femmes sont faibles, menteuses, basses, vous avez le droit général de faiblesse, de mensonge, de bassesse. Le malheur est que les femmes sont fortes, loyales, bonnes. Alors tu te trompes. Tu n’avais le droit d’aimer que mon père. L’aimais-tu ? Le soir de tes noces, l’aimais-tu ? »
Scène 6 : Arrivent Agathe et le président qui se querellent, le président ayant découvert qu’Agathe a un amant. Électre lui ayant transmis son courage, Agathe répond vertement à son mari. Agathe avoue au président qu’un de ses amants est Égisthe. Clytemnestre tressaille et traite Agathe de menteuse. Électre, devant l’émotion de Clytemnestre, comprend alors que l’amant de Clytemnestre est Égisthe.
Scène 7 : Égisthe arrive transfiguré. Alors que les Corinthiens sont sur le point d’envahir Argos, il a reçu un signe lui indiquant qu’il devait épouser Clytemnestre pour être roi et sauver Argos. Il a besoin d’Électre pour lui transmettre le sentiment du devoir. Électre comprend que c’est sa mère avec Égisthe qui ont tué Agamemnon. Elle s’oppose à leur mariage. Elle appelle Oreste pour qu’il les tue.
Scène 8 : Égisthe explique à Électre qu’elle doit laisser faire ce mariage pour la sécurité de la ville. Électre rétorque que sa vengeance est primordiale et ne peut attendre. C’est pour elle le jour de faire éclater la vérité : « Non. C’est aujourd’hui son jour. J’ai déjà trop vu de vérités se flétrir parce qu’elles ont tardé une seconde. Je les connais, les jeunes filles qui ont tardé une seconde à dire non à ce qui était laid, non à ce qui était vil, et qui n’ont plus su leur répondre ensuite que par oui et par oui. C’est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité, elle est éternelle mais ce n’est qu’un éclair. » Clytemnestre avoue à Électre qu’elle haïssait Agamemnon.
Scène 9 : Le mendiant raconte la mort d’Agamemnon. Puis il raconte la mort de Clytemnestre et d’Égisthe qu’Oreste vient de tuer.
Scène 10 : Les Euménides reviennent. Elles annoncent à Électre qu’elle ne reverra plus Oreste qu’elles vont poursuivre : « Plus jamais tu ne reverras Oreste. Nous te quittons pour le cerner. Nous prenons ton âge et ta forme pour le poursuivre. Adieu. Nous ne le lâcherons plus, jusqu’à ce qu’il délire et se tue, maudissant sa sœur. »